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Journalisme d’information et journalisme d’émotion

Par Philippe Stroot

Comment interpréter le thème retenu, sur proposition de la section camerounaise, pour les prochaines assises de l’UPF à Yaoundé ? Si le terme d’information est clair, celui d’émotion laisse davantage de place à l’interprétation subjective. La notion d’émotion doit sans doute être prise dans son sens le plus large, mais pourquoi avoir choisi ce terme ? Ce qui préoccupe tout le monde dans les médias en ce moment est la désaffection à l’égard de la presse et la détestation croissante de ceux des journalistes qui sont le plus manifestement engagés et partiaux.

Cette problématique devrait permettre aux participants de s’interroger collectivement sur les causes de ce phénomène de rejet, au-delà des réflexes corporatistes qui incitent certains journalistes à refuser toute critique dirigée contre la presse et les médias.

Dans quelle mesure les journalistes font-ils encore de l’information ou préfèrent-ils mener un combat systématique contre tous ceux qui remettent en question l’ordre établi ? Si un journaliste, en fonction de ses propres convictions philosophiques et politiques, est emballé ou au contraire révolté par l’événement ou le fait qu’il relate, il sera nécessairement sous l’emprise d’une « émotion » en rédigeant son papier ou son compte-rendu audio-visuel. Or c’est précisément lorsque cette émotion est perceptible qu’une information brute cesse de l’être pour devenir au mieux une analyse engagée et au pire de la propagande pure et simple.

On en revient toujours à la nécessité de faire la différence entre l’information, qui consiste à dire au public « voici les faits qui se passent dans le monde », et la propagande qui suggère « voici ce que vous, lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, devez en penser ».

L’exemple de ce qu’il ne faut pas faire à cet égard est ce qui se passe quotidiennement sur les chaînes télévisées françaises, où des « spécialistes » (toujours les mêmes) commentent les événements (toujours dans le même sens) et formatent ainsi peu à peu ceux qui les croient encore. Le message issu des discussions des assises de Yaoundé devrait donc être que les journalistes ont certes le droit, comme tout le monde, d’avoir leur avis, et que l’objectivité parfaite n’existe pas, mais qu’il faut au moins exiger des médias : 1) qu’ils reflètent systématiquement les différents points de vue qui s’affrontent, qu’il s’agisse de politique intérieure ou de politique internationale, 2) que toutes les opinions aient accès aux médias, qu’elles plaisent ou non aux gouvernements et aux patrons de presse, et 3) que la différence soit clairement établie entre le fait brut, objectif, et l’interprétation (« l’éclairage ») que prétendent en donner certains commentateurs, ou encore « l’émotion » qu’ils veulent faire passer. Cela ne peut se faire que par des débats contradictoires entre participants ayant des points de vue différents, pour sortir enfin de l’autocongratulation unanimiste qui a trop souvent caractérisé les dernières assises de l’UPF. Il n’est pas normal, par exemple, qu’à Yerevan la quasi-totalité des intervenants – à part un ou deux Africains – aient été de farouches partisans de l’immigration « chance pour les pays d’accueil », alors que l’opinion publique de tous les pays du monde francophone et au-delà est pour le moins divisée à ce sujet… Sans parler des conséquences néfastes pour les pays de départ des migrants, qui se vident peu à peu de leurs forces vives, que ce soit en Afrique ou en Europe de l’Est. Les organisateurs des assises de Yaoundé devraient donc donner la parole à d’autres intervenants et journalistes que ceux des médias dominants qui disent tous la même chose. Les sites, blogs ou chaînes Youtube d’information alternative sont nombreux et de plus en plus suivis par ceux qui ne font plus confiance à la presse traditionnelle. Ce n’est pas en les ignorant qu’on réduira leur influence ni qu’on rétablira la crédibilité en berne des médias traditionnels.