Internet et Réseaux sociaux : l'émotion au détriment de l’information
Katherine Viner / The Guardian / 7 novembre 2016
Au lendemain du Brexit, Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian signait un plaidoyer pour un journalisme responsable face à internet. A la recherche d’un nouvel équilibre économique, les médias favoriseraient les clics et l’émotion au détriment d’une information et d’une analyse de qualité.
L’incitation au clic : une quête sans fin pour la presse
Internet bouleverse depuis plusieurs années le journalisme. Si au quotidien les journalistes utilisent internet et les réseaux sociaux pour s’informer et diffuser de l’information, le modèle économique de la presse n’a que peu évolué. Il est basé sur la publicité. Or, au 1er trimestre 2016, pour 1$ dépensé dans la publicité en ligne aux Etats Unis, 85 cts revenaient à Google et Facebook, plutôt qu’aux entreprises de presse.
Certains médias adaptent leurs contenus aux plateformes et publient des titres racoleurs dans l’espoir de générer un maximum de clic, d’augmenter leur audience et de percevoir quelques miettes des revenus publicitaires. Ce qui fait le succès d’un article ne vient alors plus de la qualité de l’information qui est diffusé mais de son côté viral et émotionnel.
Parallèlement, la défiance des citoyens envers l’establishment a aussi touché la presse : trop proche des élites, trop complaisantes envers l’autorité. Ceux-ci se sont détournés des médias traditionnels au profit des réseaux sociaux. Ainsi, 40% des français s’informent via les réseaux sociaux.
De l’émotion plus que des faits
Si les informations sûres, vérifiées et analysées sont elles aussi diffusées sur internet, les rumeurs et mensonges sont nettement plus vus. Ils sont diffusés avant que l’information ne soient traitée. Et leur caractère sensationnel fait qu’ils sont nettement plus partagés que les autres.
Ce qu’Arron Banks, contributeur financier de l’Ukip et de la campagne du « Leave » lors du vote du Brexit, a déclaré au Guardian : « Les partisans du Remain n’ont présenté que des faits, des faits, des faits. En réalité, ça ne marche pas. Il faut créer un lien émotionnel avec les gens. »
Pour Neeztan Zimmerman, ancien employé de Gawker, outil dédié aux contenus : « Aujourd’hui, ce n’est pas important qu’une histoire soit vraie. L’important c’est que les gens cliquent. (…)
Si on ne relaie pas une information, cela veut dire que fondamentalement, ce n’est pas une info. ».
Cette vision du traitement de l’information est un indicateur des profonds changements que traverse le journalisme.
Des filtres algorithmiques (trop ?) puissants
Enfin, l’internet libre laisse de plus en plus la place à un internet filtré et personnalisé. Google, comme Facebook, vous proposent des informations en lien avec vos centres d’intérêts. Ce fonctionnement tend à nous isoler des idées que nous ne partageons pas, des informations susceptibles d’élargir notre horizon ou de réfuter les mensonges que d’autres ont relayés. Et en envoyant systématiquement des informations qui vont dans le sens de nos convictions, ces algorithmes ne font que conforter, voire radicaliser les opinions.
Au lendemain du référendum sur le Brexit, Tom Steinberg, internaute britannique militant et fondateur de MySociety indiquait : « Je recherche activement des gens qui se réjouissent de la victoire des pro-brexit sur Facebook. Mais les filtres sont tellement forts et intégrés aux fonctions de recherche personnalisées sur les plateformes comme Facebook que je n’arrive pas à trouver une seule personne contente de ce résultat électoral alors que près de la moitié du pays est clairement euphorique aujourd’hui. »
Au risque de renforcer les clivages ; une partie de la population vivant sans connaître ni rencontrer une autre partie de la population.
Source : Comment le numérique a ébranlé notre rapport à la vérité (Courrier international – Septembre 2016) : https://www.courrierinternational.com/article/medias-comment-le-numerique-ebranle-notre-rapport-la-verite