source : Heidi.news
La journaliste Gea Scancarello et le photographe Gabriele Galimberti, à Milan.
Depuis le 9 mars, Gea Scancarello et Gabriele Galimberti tiennent pour Heidi.news une chronique, en textes et en images, du confinement à Milan. Aujourd’hui, Gea a de la fièvre. Elle a appelé un médecin: «C’est le Covid, selon toute probabilité.»
Par Gea Scancarello
J’ai de la fièvre. Une fièvre faible mais persistante. Elle monte l’après-midi et me fait frissonner le matin, avec une violence qui n’est pas proportionnelle à ma température. Je suis gelée, mes muscles me font mal et je tousse un peu: une toux sans sécrétions, vaguement hystérique, apparemment sans raison. Surtout, je suis fatiguée. Si fatiguée que pendant la dernière interview, j’ai senti mes jambes flageoler et suis allée dans un supermarché pour acheter du chocolat, pensant que c’était dû au manque de sucre.
Ce sont les symptômes du coronavirus. Je les connais. Je les ai lus au moins cent fois la semaine dernière. Je crois que j’ai attrapé le Covid-19. Je crois, je ne sais pas. Il faudrait qu’on me fasse un test. Mais les prélèvements font l’objet de débats dans tout le pays depuis des jours. Faut-il les faire? Pourquoi tout le monde n’est pas testé? Quel est le problème? Est-ce que ça signifie qu’il y a des gens qui travaillent qui pourraient être asymptomatiques et contaminer d’autres personnes? Et comment peut-on disposer de bases de données fiables sur les contaminations, les morts et les guérisons si on ne teste pas les gens?
Voilà pour la théorie, les grandes questions. Les petites: que dois-je faire, à part dire à Gabriele de rester loin de moi, puisqu’il est encore en bonne santé? A quel point dois-je m’inquiéter? Il existe un numéro d’urgence, mais il ne faut l’appeler qu’en cas de forte fièvre, ce qui n’est pas mon cas. Le système de santé est à bout. Il ne doit pas être encombré de demandes inutiles, alors que du temps doit être consacré à ceux qui en ont vraiment besoin. Pourtant, l’année dernière, à la suite d’un grave accident de voiture, mes deux poumons ont éclaté et j’ai été aux soins intensifs pendant un long moment. Cela fait de moi un sujet à risque. Peut-être ai-je un peu plus le droit d’appeler, même si ma fièvre n’est pas élevée?
Et je n’ai qu’un seul rein, mes fonctions vitales sont plus menacées que d’autres.Cela augmente-t-il mon droit à appeler le numéro d’urgence? J’ai décidé de ne pas le faire. Moins par altruisme que par réalisme. J’ai contacté un infectiologue, le cousin d’un ami, un médecin sérieux et compétent, qui me connaît. J’ai énuméré mes symptômes et lui ai parlé de mes poumons. Il ne m’a posé une seule question: «Etes-vous allé à Bergame ou à Brescia?»
Il voulait dire: avez-vous été dans le plus grand lazaret d’Italie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale? Je n’y suis pas allée, non. «C’est le Covid, selon toute probabilité. Symptomatologie faible à moyenne. La fièvre a 48 heures pour monter, sinon elle restera longtemps à plat. Si elle augmente, on mettra en place un traitement, je vous l’indiquerai par téléphone. J’ai un patient qui a 39 de fièvre depuis cinq jours et je n’arrive pas à lui envoyer une ambulance. Appelez-moi ce soir, ou demain. Ne vous inquiétez pas, il y a beaucoup de cas comme le vôtre.» Je ne sais pas si le fait de savoir ça me rassure, mais je vais l’appeler. Et prier pour que la fièvre ne monte pas.