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"Le Temps": l'écriture inclusive suscite de vives réactions

« Le Temps »
Catherine Frammery
Il y a eu ceci: «Est-il raisonnable de s’abonner à un journal francophone qui se veut de «référence» si celui-ci a pour ambition, par militantisme forcené, de ne plus l’écrire en français?» Et puis aussi ceci: «Je trouve illisible un texte parsemé d’écriture inclusive et ridicule. Par principe, je ne le lis pas. Si Le Temps s’y met, j’arrêterai immédiatement de le lire.» Brrr… Mais il y a aussi eu ceci: «L’écriture inclusive est LA SEULE QUI EST RÉELLEMENT RESPECTUEUSE des hommes et des femmes. Je suis surprise que l’on puisse poser une telle question dans un journal de professionnel-le-s en 2020.» Et encore ceci: «J’ai été assez déçu·e de voir que la charte que vous proposiez était essentiellement binaire, tout en étant réjoui·e que ces thématiques vous préoccupent. Je ne souhaite pas descendre vos efforts qui sont plus que louables, mais une égalité binaire est une égalité oppressive et je suis sûr·e qu’un média qui s’est penché sur ces questions saura trouver une égalité réellement inclusive.»
Vous l’avez compris: nous avons reçu des courriers extrêmement tranchés après notre appel à commentaires, l’écriture inclusive ne laisse jamais indifférent (ou indifférente?) Plus de 40 courriels longs et argumentés, et près de 400 réactions sur Facebook, plus lapidaires et expéditives: la question a déclenché les passions. Et nous ne sommes pas forcément plus avancés.
Si nous avons voulu vous solliciter, c’est que nous écrivons pour vous. Notre interrogation est née de notre charte Egalité, élaborée dans le cadre des 20 ans du Temps en 2018. Tous les jours, nous comptabilisons le nombre de photos de femmes, le nombre d’expertes citées dans la page Science et dans notre rubrique Débats, ainsi que le nombre d’éditoriaux signés par des femmes, ce qui donne lieu à notre baromètre mensuel de la parité. De nombreuses études montrent qu’une écriture moins masculine contribue à une meilleure représentation de l’égalité hommes-femmes, mais jusqu’où aller?
Faudrait-il évoquer «nos lectrices et nos lecteurs» au lieu de «nos lecteurs»? C’est lourd, et cela prend de la place – pour un titre c’est inenvisageable, par exemple. Dans le même ordre d’idées, un de nos lecteurs nous signale son grand embarras devant le «Musée des sapeurs-pompiers et sapeuses-pompières» qui existe à Genève… Vaudrait-il mieux se replier sur les mots épicènes plus abstraits et évoquer «notre lectorat», voire envisager le point médian, de type député·e·s? «Je viens de réviser un travail de bachelor. Ecriture inclusive sous sa forme pointée imposée. Quelle horreur!» se désole un autre lecteur. Devrions-nous recourir à ces nouveaux mots auxquels, a montré le psycholinguiste vaudois Pascal Gygax, on s’habitue rapidement comme «iels» pour remplacer «ils et elles»? «J’écris régulièrement à destination de personnes dont le français est la deuxième langue. Je dois être beaucoup plus attentive à l’orthographe et aux fautes de frappe, car la moindre erreur devient une perturbation pour la compréhension. Alors ajouter des pronoms inconnus, que de difficultés en plus!» note une lectrice.
Les médias sont loin d’être à la pointe dans l’utilisation d’une langue dégenrée, la question fait débat dans les rédactions, où si les journalistes sont parfois pour, les équipes de correction sont presque toujours contre. temps, habitude ou commodité.