upf-3.png

L'algorithme, nouveau partenaire du journaliste

Chronique de Pierre Ganz :
Algorithmes et déontologie
Les algorithmes sont là. Ils contrôlent la diffusion de la production des journalistes sur les réseaux sociaux. Ils sont aussi désormais au cœur du processus de production des contenus. L’intelligence artificielle devient un partenaire quotidien des équipes de journalistes. A elles de lui imposer le respect des normes déontologiques.
Le nouveau collègue des journalistes s’appelle souvent “Bot”. Un diminutif pour “bot news” ou mieux encore “robot générateur d’informations”. Ils sont de plus en plus nombreux dans les rédactions pour y faire de plus en plus de choses. Les journalistes y gagnent en étant déchargés de taches répétitives et chronophages. Les promoteurs des robots affirment que cela dégage des effectifs de journalistes pour enquêter sur le terrain sur des sujets plus complexes. Que cela n’a pas d’incidence sur l’emploi des humains. L’avenir dira si cela se confirme…
Des algorithmes analysent par exemple des millions de tweets pour détecter une information originale. C’est ainsi en 2017 que l’agence Reuters a été alertée sur l’assassinat de la journaliste maltaise Daphné Caruana Galizia à partir de tweets relevés sur des comptes locaux. D’autres encore sont capables de personnaliser l’offre de contenu pour chaque lecteur en ligne en fonction des informations recueillies sur ses centres d’intérêt et ses habitudes, mieux, d’adapter la page d’accueil du journal qu’il consulte.
D’autres apprennent à sélectionner et recouper des informations pertinentes*. Lors dune soirée électorale en France, un bot a pu décrire en une nuit le résultat des élections commune par commune (il ya en 36 000 en France…) en créant automatiquement des textes qui proposent une présentation plus analytique des résultats que des données chiffrées brutes. Ailleurs, plus aucun match de football n’est privé de compte rendu : à partir des données statistiques sur la rencontre, un robot va la raconter en bon français à partir d’un corpus de phrases, d’expressions et autres formules journalistiques. Le tout dans les minutes qui suivent le coup de sifflet final. Sans oublier des utilisations de ces robots dans le domaine financier – présentation de cours de bourse ou analyse de résultats d’entreprises. Ou encore la conception d’une infographie informative à partir d’une base de données.
Tout cela suppose que les journalistes connaissent la source des données exploitées et s’assurent qu’elles ne comportent pas de biais. Pour Luc Bronner, le directeur de la rédaction du Monde, « il faut être sûr de la nature des données et il faut qu’elles aient un sens instantané, sans jugement de valeur ni analyse» .
Pour la première fois, un conseil de presse, le Conseil des médias de Finlande,s’est penché sur l’impact éthique de ces technologies. Après plusieurs mois de réflexion, il a récemment publié une recommandation sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les rédactions**. Elle repose sur deux principes : les journalistes ne doivent jamais perdre la main sur ce que fait l’algorithme, et le public doit être informé de son intervention.
Concrètement, la décision d’utiliser ces outils doit être fondée sur des considérations journalistiques. Elle relève de la rédaction en chef, jamais uniquement des services informatiques et/ou marketing d’un média. Les développeurs doivent respecter les lignes directrices définies par la rédaction. Si le programme est développé à l’extérieur de l’entreprise, des journalistes doivent être associés à l’approbation de ses règles opérationnelles. Il est donc nécessaire que les rédactions comptent dans leurs rangs des journalistes ayant les compétences techniques pour comprendre ce qui est demandé à l’algorithme et ce qu’il fait.
Lorsque le contenu d’un média a peu ou prou été généré et publié automatiquement, il faut en informer le public. Il faut lui indiquer quelles sources (base de donnée par exemple) a été exploitée par l’algorithme. Dans le cas d’un outil qui permet de personnaliser le contenu ou la présentation d’une page, la transparence commande d’informer clairement le public de la collecte de données le concernant à des fins de ciblage.
Faire découvrir au lecteur un sujet inattendu, qui ne relève pas de l’analyse de ses visites précédentes, est au cœur du rôle du journaliste, vigie désintéressée qui alerte sur ce qui est nouveau et fait sens. Dans tous les cas, la rédaction doit donc pouvoir reprendre le contrôle de ce qui est publié, par exemple quand elle estime que s’impose une autre hiérarchie de l’information que celle proposée par la machine.
Le conseil des médias de Finlande conclut sa recommandation est soulignant que le «pouvoir du journalisme dans le soutien d’une société démocratique est fondé sur les divers points de vue qu’il offre sur le monde». Et donc que les outils algorithmiques doivent être utilisés pour « garantir l’accès du public à des informations diversifiées».
Pierre Ganz